Samedi 7 aout 2010, Saint Laurent du Var fêtera les légendaires « gueyeurs »
Depuis les origines des temps, le fleuve Var a constitué pour l’homme un dangereux obstacle dans sa progression côtière. Aussi, une étape s’imposait avant cette traversée délicate. Saint Laurent du Var naîtra de cette nécessité géographique.
De ce fait, les hommes occupant le site seront mis à contribution dans l’aide et l’assistance apportées au franchissement du fleuve, et ceci, jusqu’à la construction définitive d’un pont.
Dans l’Antiquité, le passage périlleux du Var sera résolu par une passerelle en bois qui ne résistera pas aux crues récurrentes du fleuve. Au Moyen-âge conscientes de ce problème, les autorités religieuses soucieuses de faciliter le flux des pèlerins circulant vers Rome et Saint Jaques de Compostelle vont garantir le passage du fleuve.
Dans un premier temps vers l’an 1000 la présence de moines munis de chevaux, suivie au XIIème siècle par l’installation d’un hospice sur la rive droite vont satisfaire à cette exigence. La traversée s’effectuera en barque pour le franchissement du gros bras du fleuve et à pied pour le reste du gué. Il en sera ainsi pendant cinq siècles jusqu’à la construction d’un pont en 1792.
Les offrandes laissées par les voyageurs à l’hospice vont déclencher durant un siècle des querelles d’intérêts entre les ordres monastiques et l’évêque de Vence seigneur du lieu.
Au XVème siècle, après la renaissance du village repeuplé en 1468, suite aux épidémies et aux pillages, il appartiendra aux nouveaux habitants venus de la proche Ligurie, d’assurer la traversée du Var. Les « Riveraschi » , hommes robustes désignés par le Consul (Maire) rempliront cette mission.
« Les gueyeurs ou barquiers doivent être des gens choisis et craignant Dieu
- Qui fréquentent les sacrements et fassent leurs Pâques chaque année,
- Qui portent un « tableau » (tablier) autour de leur ceinture,
- Qui ai de la pudeur et de l’honnêteté envers les personnes du sexe,
- Qu’ils soient charitables envers les pauvres et traitables envers les autres,
- Qu’ils ne soient points abrutis par le vin pour ne pas se noyer et noyer les autres ! »
Les Gueyeurs vont s’acquitter ainsi de leurs devoirs dans le cadre d’une une véritable confrérie soumise à des règles strictes contrôlées par un « juge des gueyeurs ».
Néanmoins, au XVIIIème siècle, les services des gueyeurs se dégradent : indélicatesses en tous genres, voyageurs volés et rançonnés, prestations d’un prix exorbitant, litiges et incidents divers conduiront même certains gueyeurs jusqu’à la prison. Cette situation persiste pendant plus de 15 ans, entraînant les autorités à confier la gestion du passage du Var à un entrepreneur privé.
C’est ainsi qu’en 1758 M. Ferron obtient la charge d’organiser la traversée du Var en recrutant des gueyeurs permanents et appointés. Les candidats doivent être « jeunes, vigoureux, sages et tenus de s’habiller de façon à éviter tout scandale et toute indécence ».
En 1760, le traité de paix de Turin impose de nouvelles règles avec un retour de la traversée du fleuve à la charge de la communauté :
- « La communauté rétablira la barque sur le gros bras du Var.
- Elle nommera 12 gueyeurs « les plus propres, les plus experts dans cette fonction, parmi lesquels elle choisira les plus capables pour avoir l’inspection des autres.
- Ils se tiendront deux de chaque bord, depuis le lever au coucher du soleil.
- Ils sonderont et marqueront les passages difficiles avec des piquets et fascines, le bois (barque, cabane, abri) sera à la charge de la communauté.
- Les gueyeurs seront toujours vêtus décemment avec des caleçons ou ceintures et ne pourront passer les voyageurs lorsqu’il y aura du danger, dont ils seront partant obligés de les avertir.
- Ils passeront les pèlerins gratuitement.
- Le salaire est de 6 sols d’argent de France. »
Enfin, deux gueyeurs devront accompagner chaque voyageur durant la traversée du fleuve.
En 1791, 12 gueyeurs sont encore mentionnés pour s’acquitter du service de franchissement du Var.
1792 marque la fin du gué, avec l’installation du premier pont en bois sur le Var, pour le passage des diligences.
Les gueyeurs ne réapparaîtront ensuite que lorsque le pont sera coupé par les crues du fleuve.
Ainsi en 1808 on signale encore 10 gueyeurs en activité vêtus d’un tablier tenu à la ceinture.
Une anecdote de cette époque, rapportée par M. Trastour issu d’une famille de gueyeurs, fait état d’un geste d’honnêteté de son ascendant. Cet ancêtre avait trouvé une bourse chargée de pièces en or perdue par un voyageur au cours du passage du Var. Trastour se mit en route sur ses traces et parvint à le rejoindre pour lui restituer son bien.
Le voyageur le remercia sans plus, en lui disant simplement : « Mon gaillard il y avait là suffisamment pour assurer ton futur et ne plus jamais travailler ! »
La frontière est de nouveau rétablie sur le Var en 1815 entre le royaume de France et les Etats de Piémont-Sardaigene, le pont est alors divisé en deux !
En 1860, la frontière disparaît avec l’annexion du Comté de Nice à la France. Un pont de pierre, routier et ferroviaire, sera construit quatre ans plus tard.
Le pont de bois situé en face du village est restauré en 1865, il sera détruit en 1869.
Aujourd’hui les gueyeurs ne sont plus qu’un souvenir concrétisé par une rue du Vieux Village et l’installation récente d’une statue sur un rond point au bas de la rue de l’Ancien Pont.
Une « Fête des gueyeurs » sur l’initiative du « Comité de Sauvegarde du Vieux Village » conserve la mémoire de ces robustes et légendaires laurentins qui oeuvrèrent pour leur prochain durant quatre siècles afin d’assurer dignement le passage du Var.
Leur patron, Saint Christophe fêté le 21 août est également celui des porte-faix.
Les gueyeurs sont une particularité exceptionnelle unique en France dont peut s’enorgueillir Saint Laurent du Var.
Edmond ROSSI ( http://pays-d-azur.hautetfort.com