DENISE LEBRUN-ROSSI TÉMOIGNE SUR LES ANNÉES NOIRES DE LA GUERRE 1939-1945

Denise Lebrun-Rossi, tour à tour élève puis enseignante et directrice d’école à Saint Laurent du Var, a marqué la vie communale et associative de la cité par son dévouement et sa rayonnante personnalité. Voici son témoignage sur la période des années noires de la guerre 39-45.

 

A partir de 1941, nous habitions avec ma famille derrière l’école du Centre (devenue l’école Michelis), villa « Marie Antoinette », nous résidions auparavant au plateau Callisté. Nous y sommes restés jusqu’en août 1944.

Je fréquentais l’école des filles avec Jany  Checaglini, Yvonne Roggero et Pierrette Filippi. Chaque matin les classes se réunissaient dans la cour de récréation pour le « Salut au couleurs » avant d’entonner « Maréchal nous voilà… » à la gloire du Maréchal Pétain.

Le rationnement alimentaire très dur donnait lieu à une distribution régulière d’un verre de lait (avec du lait en poudre) et d’une pastille de vitamine.

La ration quotidienne d’un adulte se composait de 350g de pain, s’ajoutaient pour une semaine: 50g de fromage, 100g de matières grasses, 250g de viande, et pour un mois : 250g de pâtes, 300g de café et 500g de sucre. L’ensemble était distribué en échange de tickets d’alimentation.

Des religieuses installées dans les locaux de l’actuelle « Pâtisserie La Cigale »  organisaient tous les midis, une soupe populaire destinée aux enfants.

Ma mère coupait les cosses des haricots en lanières pour nous nourrire, elle s’efforçait de trouver à acheter de la farine de glands de chêne et nous confectionnait  au mieux un gâteau de carottes les jours de festin.

Les trottoirs faits en terre battue de l’actuelle avenue De Gaulle (aux Condamines) étaient cultivés par les propriétaires des maisons qui les longeaient.

Une carriole tirée par un cheval nous permettait de rejoindre la Gare ou d’en revenir.

Deux abris contre les bombardements avaient été creusés dans la cour de l’école du Centre. Dès que l’alerte était annoncée par la sirène, très souvent la nuit, la directrice, Madame Achard, ouvrait les portes arrière du groupe scolaire pour permettre aux gens du quartier de rejoindre les abris de la cour.

Nous emportions alors les quelques trésors de la famille, papiers, argent, cela avait été préparé à l’avance dans un cartable, placé au pied du lit.

Dans l’abri, les femmes priaient à haute voix et le ton augmentait au bruit des moteurs d’avions. Madame Girard  essayait de calmer sa fille de 4 ans, Yvonne, qui ne tenait pas en place. Marie Risso, les Bresso et tous les voisins du quartier étaient réunis là.

En 1943, à l’âge  de 11ans j’étais élève du Lycée de filles de Nice. Un jour, arrivée à la gare d’autobus pour y prendre le car qui devait me ramener à Saint Laurent, j’appris que le pont du Var avait été bombardé et qu’on ne pouvait plus passer. Néanmoins, un car nous transporta jusqu’à l’entrée du Pont et là en compagnie de Madame Auvare,(grand mère de Jacques), postière à Nice, mère de Blandine Balducci (grand mère de Bébère), nous sommes passées entre les trous de bombes qui avaient démoli le pont. Après cela, une passerelle en bois fut construite pour permettre la traversée du Var.

Faute de transport, les jeunes laurentins primitivement scolarisés à Nice (Simone Layet, Henri Vidal, Gilou Foata, André Bonifassi et moi même) devinrent pour une somme modique les élèves de Monsieur Laurenti, un ancien percepteur, en délicatesse avec son administration. Ce nouveau professeur habitait une villa située au bout de la cité Lallée, là où se trouve aujourd’hui le siège d’une banque.

Ma mère était alors employée à la Mairie, elle y distribuait les cartes des tickets d’alimentation (J1, J2, J3 pour les jeunes et les adultes) ceci en compagnie de Madame Battaïni, mère d’Eliane Perez épouse de Marcel Perez, le tout sous la responsabilité du maire, Mr Louis Ravet. Ces employées délivraient de fausses cartes pour les familles juives ainsi que pour les résistants.

Mon frère aîné, Jacques, qui avait refusé de partir travailler en Allemagne au service du STO, avait rejoint un maquis en Haute Loire. Ce maquis s’étant dispersé, il revint chez nous à Saint Laurent pour s’y cacher. Un jour une patrouille d’Allemands remonta notre rue pour stopper devant notre portail ! Panique dans la maison ! En fait, ils étaient tout simplement attirés par les fruits du citronnier  de notre jardin…

Nous vivions la peur au quotidien.

Ma mère confia à M. Ravet la situation délicate dans laquelle se trouvait mon frère, caché chez nous. Le maire le reçut et le fit entrer comme dessinateur aux batteries de la DCA allemande de Montaleigne avec mission d’y relever les plans pour les transmettre ensuite à Londres.

Les alertes se succédaient ainsi que les bombardements. Le 6 août 1944 Saint Laurent est presque totalement détruit. Le matin, nous étions parties, ma mère et moi, pour Cagnes y rejoindre des amis, anciens voisins du Plateau Callisté, que nous avions recueillis un temps chez nous. Au retour, nous avons appris que Saint Laurent avait été bombardé. Mon frère, venu à notre rencontre, nous annonça qu’une bombe était tombée dans le jardin de la maison, alors qu’il était réfugié dans la cave ! Inutile de dire que la villa était sérieusement endommagée. Nous avons chargé une carriole avec tout ce que nous pouvions emporter et nous sommes partis nous réfugier au Ragadan dans le cabanon de Blandine, qui nous a accueillis avec d’autres, parmi lesquels Léonie Baruffi une amie d’école qui périra dans une cave lors du bombardement de la rue Desjobert.

Décision a été prise ensuite de nous évacuer à Cagnes. Nous nous sommes retrouvés entassés quinze jours durant dans des abris situés route de Vence, dans une promiscuité pénible. Ma mère se cachait pour me donner à manger des croutons de pain séché, car tout le monde avait faim.

Mon frère avait rejoint le maquis de Thorenc.

Le  15 août 44, jour du débarquement allié, les obus de la marine tombaient sur Cagnes dans un fracas épouvantable. C’est avec joie et soulagement que nous avons vu fuir les Allemands !

Nous sommes rentrés chez nous à Saint Laurent, pour retrouver notre maison entièrement dévalisée, nos pauvres « trésors » avaient été emportés, comme des œufs conservés dans la cendre placés dans une jarre, quelques pots de confiture amoureusement préparés par ma mère, ainsi que les draps …Mais le cauchemar était fini.